CryptoReflexions#4 : le rôle du régulateur
Réglementer l'usage des technologies est nécessaire. Voici quelques réflexions sur la manière de le faire.
Bonjour à tous,
Long time no see ! Oui, pas mal de boulot et peu de temps pour m’arrêter et réfléchir.
J’avais fixé l’objectif de publier un CR/ mois. J’ai pris un peu de retard mais au moins je n’ai pas spammé votre boite mail.
Après avoir préciser le principe de neutralité technologique, j’ai réflechi au rôle du régulateur: quelle est sa mission et comment l’exécuter.
Interessé(e)?
Lets’go !
“Le rôle du régulateur doit être de favoriser les échanges de tous les acteurs, de faire dialoguer, de mobiliser et de responsabiliser l’ensemble de la société et de parler en son nom. Le régulateur, quel qu’il soit, posera ainsi les bases de ce qui pourrait être une conception participative de la régulation (...). En d’autre termes, le régulateur doit être l’instrument de la société pour contrebalancer le pouvoir des plus forts”. “
Ce passage est extrait du livre de Serge Abiteboul & Jean Cattan, “Nous sommes les réseaux sociaux”.
Si ce raisonnement a été fait pour la régulation des réseaux sociaux, il est transposable, à mon sens, à tous les secteurs régulés et à plus fortes raisons dans les secteurs du numérique où l’innovation est toujours plus rapide que la réglementation.
Le secteur des crypto-actifs n’y échappe pas non plus. Je dois préciser d’emblée que si certains scandales viennent écorner la réputation de l’éco-système crypto, il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Il est d’ailleurs excessif de considérer que le secteur est un véritable far west comme je l’ai déjà écrit et dit à plusieurs reprises. Comme l’a ecrit Ray Dalio, les articles tapageurs et les ragots attirent plus de lecteurs et de téléspectateurs que ne le fait l'austère objectivité.
A cet égard, c’est bien des billets de banque qui ont été découverts chez Eva Kaili et pas des crypto-actifs, pourtant tellement pointés du doigt comme moyen utilisé par les organisations criminelles. Dans un rapport de 2022, Europol confirme que les montants de crypto-actifs utilisés pour frauder sont comparativement plus faible que le montant des fonds illicites impliqués dans la finance traditionnelle.
Enfin, les secteurs réglementés connaissent aussi leurs petits scandales. Crédit Suisse, Silicon Valley Bank, Silvergate ou encore Lehman Brothers & Fortis sont des noms qui feront frissonner certains. Soyons donc de bon compte et objectifs dans les comparaisons car comme vous le savez, comparaison n’est pas raison.
Si l'on s’accorde sur le fait que la régulation est effectivement l’instrument de la société pour contrebalancer le pouvoir des plus forts. Les régulateurs sont là, avant tout, pour protéger les consommateurs, limiter les abus de marchés, encadrer ou contrôler certaines activités. En Belgique, l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA) veille au traitement honnête et équitable du consommateur financier et à l’intégrité des marchés financiers.
Il convient alors de réfléchir à la manière d’exécuter cette mission.
On peut, à ce sujet, établir une échelle d’exécution allant d’une approche interne (ou individuelle) à une approche externe (ou collective).
L’approche interne est celle où les réglementations sont réfléchies, édictées et rédigées uniquement par l’autorité de marché. Pas de consultation publique, pas d’expert auditionné ni réunion de travail. Un travail en vase clos et “déconnecté” du marché. Je n’en suis pas friand, vous vous en doutez.
A l’inverse, l’approche externe s'apparente à ce que S. Abiteboul et J. Cattan décrivent. Il ne s’agit évidemment pas de donner les pleins pouvoirs au marché. Néanmoins, des consultations publiques sont sollicitées pour favoriser le dialogue et la réflexion pour permettre à l’autorité d'édicter une réglementation éclairée, à la lumière de ces réflexions.
Cette façon de travailler est proche du concept d’intelligence collective qui veut qu’une équipe d'agents coopérants peut résoudre des problèmes plus efficacement que lorsque ces agents travaillent isolément. Rien de nouveau sous le soleil : il y plus d’idées dans deux têtes que dans une.
De plus, l’approche externe fait sens, démocratiquement parlant. En effet, la réglementation mise en œuvre dans certains secteurs est régulièrement une immixtion dans les droits fondamentaux des individus. Les procédures mises en place pour lutter contre le blanchiment de capitaux notamment ont déjà été retoquées devant la CJUE (voir ici sur ce sujet).
On peut d’ailleurs se poser la question de la légitimité démocratique de certaines règles. Les lois et décrets sont votés par des assemblées parlementaires, composés de membres élus par les citoyens au moment des élections. Ce processus législatif permet d’élaborer les règles selon une approche externe notamment par l'intermédiaire du travail des parlementaires ou encore la publication de travaux parlementaires où chacun pourrait aller consulter ce qui c’est dit sur telles ou telles lois en cours de discussion.
Pourquoi est-ce différent pour les réglementations dans certains secteurs? Qui est au pouvoir? Qui est à la manœuvre dans une approche interne? Personne , ou à tout le moins le citoyen lambda, ne le sait vraiment.
Avec une approche externe dans l’élaboration de la réglementation, on instille un peu de démocratie dans l’élaboration de la règle ce qui n’est pas de nature à déplaire nos sociétés.
Bien entendu, ces deux approches sont rarement mises en œuvre telles quelles. Il y a un curseur qui est placé entre les deux extrêmes.
En matière de crypto-actifs, les régulateurs français et anglais ont placé le curseur en faveur de l’approche externe. Les consultations publiques sont multiples et le dialogue est permanent. Résultat, les sociétés et start-up privilégient ces pays pour y établir et/ou développer ces activités car ils voient que le dialogue et l’approche externe sont préconisés.
La Belgique essaie également l’approche externe. Je salue l’initiative de la consultation publique sur “Qualification de crypto-actifs en tant que valeurs mobilières, instruments de placement ou instruments financiers” qui a aboutit sur une communication intéressante de notre autorité de marché. Cependant, l’élaboration du régime VASP ou du règlement publicité en matière de crypto-actifs a été mise en œuvre dans une approche plutôt interne. C’est dommage bien qu’on puisse comprendre certaines des raisons qui ont poussé l’autorité à agir de la sorte.
Ensuite, l’avantage de l’utilisation d’une méthode de travail basée sur l’approche externe est que la participation des acteurs contrôlés va “nourrir” le régulateur et implique, in fine, un respect plus important des règles édictées.
Grâce au dialogue, un échange vertueux se crée et participe à l’éducation de chacune des parties prenantes. Le marché peut mieux comprendre les intentions du régulateur et proposer des solutions. Dans l’autre sens, le régulateur pourra se nourrir d’une pratique “de terrain” pour édicter un cadre réglementaire plus approprié. Les règles sont co-construites ce qui crée une plus forte adhésion a celles -ci.
A l’inverse, dans une approche interne, les règles sont imposées aux acteurs qui se sentent donc “attaqués” et/ou pris au dépourvu pour mettre en conformité leur activités. Ces règles sont perçues comme un moyen de “casser” les activités et/ou les entreprises alors qu’au fond, ce n’est pas le cas. L’absence de dialogue et de consultation ne permet pas, en amont, d’identifier le caractère disproportionné d’une règle. On tombe alors dans un processus inefficace où la règle est édictée puis modifiée car inadaptée.
Enfin, dans le secteur des crypto-actifs où la compétence se fait rare tant la matière est récente et évolutive, certains régulateurs sont submergés de travail et ne parviennent pas toujours à absorber le flux dans un délai raisonnable. L’approche externe permet alors de faire contribuer les tiers au travail à fournir. Dans cette période de surcharge de travail, cet avantage est non négligeable à mon sens et permet d’éviter des pertes de temps à chacun.
Avec le vote du règlement MICA par le Parlement européen en avril dernier, les autorités nationales vont devoir se mettre au travail pour appliquer ce règlement qui entrera en vigueur en 2024 pour partie.
Gageons que l’autorité nationale qui sera désignée en Belgique pour mettre en œuvre MICA adopte une approche résolument externe. La Belgique compte parmi elle des sociétés innovantes et regorge de talents prêts à contribuer. Profitons de cette énergie et construisons ensemble, le monde de demain.
Florian Ernotte - avocat
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